Créateurs en colère : l’IA Act critiqué pour sa trahison des valeurs européennes

L’intelligence artificielle devait être encadrée pour protéger l’humain, ses droits et sa créativité. C’était le discours tenu par les institutions européennes lorsqu’elles ont lancé l’ambitieux chantier de l’IA Act, le premier cadre réglementaire complet au monde pour encadrer les systèmes d’IA. Mais à peine le texte adopté, 38 organisations internationales de créateurs tirent la sonnette d’alarme. Dans une lettre ouverte publiée le 2 août, elles dénoncent un “reniement” des principes fondateurs du projet et un texte final vidé de sa substance protectrice.

Un texte affaibli sous la pression des géants technologiques

Parmi les signataires de cette tribune : des associations d’écrivains, de journalistes, de photographes, de compositeurs, de graphistes, mais aussi d’éditeurs ou d’agences de presse. Ensemble, ils pointent du doigt la manière dont les derniers arbitrages ont, selon eux, sacrifié la défense des droits d’auteur au profit des intérêts industriels. Le collectif déplore que l’IA Act n’impose pas une transparence réelle sur les données utilisées pour entraîner les modèles génératifs comme GPT, Claude ou Gemini. La mention générique de “données disponibles publiquement” reste floue et ne garantit en rien que les œuvres protégées ne soient pas absorbées sans autorisation ni rémunération.

En s’abstenant de poser des limites claires sur la collecte de contenus créatifs, l’Union européenne laisse une brèche béante. Les géants du secteur — OpenAI, Meta, Google — peuvent continuer à entraîner leurs modèles sur des corpus massifs, dont une large part provient de productions humaines. Et cela sans que les auteurs ne soient ni consultés, ni compensés.

“Le texte initial promettait de défendre l’originalité, la diversité et la création face à l’automatisation. Le texte final laisse le champ libre aux entreprises pour se servir dans nos œuvres”, déplore l’un des représentants européens d’une organisation de scénaristes, cité par Le Monde.

Une fracture entre innovation technologique et protection des créateurs

Ce recul suscite des inquiétudes bien au-delà des seuls milieux culturels. Il marque une forme de rupture entre les promesses d’une IA “au service des citoyens” et la réalité d’une technologie de plus en plus hors de contrôle. Si les créateurs sont les premiers touchés, c’est toute la chaîne de valeur culturelle — de l’idée à la diffusion — qui risque d’être fragilisée.

Les signataires de la lettre regrettent également que l’IA Act ne rende pas obligatoire l’étiquetage des contenus générés artificiellement. Cette absence de traçabilité affaiblit encore le droit du public à distinguer une œuvre humaine d’un artefact algorithmique. Pire : elle peut entraîner une confusion grandissante, tant sur les marchés de la création que dans la consommation d’information.

Certes, le texte européen impose des obligations aux systèmes dits “à haut risque” et prévoit certaines contraintes de transparence. Mais ces mesures restent, selon les associations, très en-deçà des besoins de protection dans un secteur bouleversé par la rapidité des avancées technologiques. Pour elles, l’IA Act, tel qu’adopté, consacre la domination des géants de la tech au détriment de l’équilibre culturel.

Dans un contexte où les IA génératives sont de plus en plus intégrées dans les chaînes de production — de l’écriture de contenu à la musique en passant par le design — la question de la juste reconnaissance du travail humain devient centrale. Le risque, soulignent les organisations, est de voir la création devenir une simple matière première gratuite pour les machines.

Alors que les États membres s’apprêtent à transposer le texte dans leur législation nationale, les créateurs appellent à une mobilisation urgente. L’enjeu dépasse leur secteur : il s’agit de défendre une vision européenne de l’innovation, fondée sur les droits fondamentaux et la dignité du travail humain.